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Ultimes précisions sur l’application de l’ordonnance du 25 mars 2020 en matière de détention provisoire ?

La chambre criminelle nous offre à nouveau d’intéressantes illustrations quant aux modalités d’application de l’ordonnance.

par Florian Engelle 5 novembre 2020

Le régime de la détention provisoire, en particulier de sa prolongation, a été profondément bouleversé par l’aggravation de la situation sanitaire liée à l’épidémie de la covid-19 que nous connaissons depuis le début de l’année 2020. La Cour de cassation a joué un rôle prépondérant dans la construction de ce nouveau régime, en vérifiant chaque fois que les dispositions réglementaires issues de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 étaient bien conformes aux normes supralégislatives. Au travers de différents arrêts, elle vient une nouvelle fois contrôler ces règles et préciser les modalités d’application de l’ordonnance, tant du point de vue de l’exigence d’intervention du juge judiciaire pour prolonger la détention provisoire que de la question des délais applicables à une demande d’examen direct de l’appel formé contre une décision de placement en détention.

Les modalités de l’intervention du juge judiciaire

Le moment de l’intervention

La question de l’intervention du juge dans la prolongation de la détention provisoire s’est assez tôt posée devant la Cour de cassation. Cette problématique avait été soulevée par la rédaction de l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars qui permettait la prolongation de plein droit de la détention provisoire. Cette mesure était donc prolongée automatiquement, le juge saisi n’ayant qu’à constater la prolongation en vertu de cet article. Considérant que ces dispositions ne comportaient pas les garanties suffisantes pour lutter contre une détention arbitraire, la Cour de cassation avait reconnu l’impérieuse nécessité de l’intervention du juge judiciaire a posteriori pour toute décision de prolongation de la détention provisoire. Alors même que l’article 16 de l’ordonnance ne le prévoyait pas, elle a en effet précisé par deux arrêts du 26 mai 2020 que la prolongation de plein droit de la détention provisoire n’était conforme à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme que si le juge judiciaire normalement compétent pour en connaître se prononçait sur la nécessité de la mesure dans un délai de trois mois en matière criminelle (Crim. 26 mai 2020, nos 20-81.910 et 20-81.971, Dalloz actualité, 29 mai 2020, obs. H. Christodoulou ; D. 2020. 1274 , note J.-B. Perrier ; ibid. 1274 ; ibid. 1274 , note J.-B. Perrier , note J.-B. Perrier ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; AJ fam. 2020. 498, obs. Léa Mary ; AJ pénal 2020. 346, étude E. Raschel ; S. Détraz, La Cour de cassation s’oppose à la prolongation purement automatique des détentions provisoires prévue au titre de l’état d’urgence sanitaire, Le Club des juristes, 5 juin 2020 ; v., sur l’évolution jurisprudentielle de l’intervention du juge lors des prolongations de plein droit de la détention, F. Engel, Les nouvelles frontières de la détention provisoire, Dalloz actualité, 9 oct. 2020).

Néanmoins, la question s’est également posée de savoir si la possibilité de prolonger de plein droit empêchait le juge de se prononcer sur cette prolongation de manière traditionnelle, après débat contradictoire. Dans un arrêt du 29 septembre 2020 (pourvoi n° 20-82.564), la Cour de cassation a réaffirmé sa position en la matière. En l’espèce, un individu soupçonné d’avoir commis des faits d’enlèvement, séquestration ou détention arbitraire aggravés en bande organisée avait été mis en examen et placé en détention provisoire le 18 avril 2018. Une prolongation avait été décidée par ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD) le 31 mars 2020 rendue après débat contradictoire pour une durée de six mois supplémentaires, saisi par le juge d’instruction à cette fin. L’intéressé avait alors relevé appel de cette ordonnance devant la chambre de l’instruction, qui avait donné droit à sa demande en infirmant l’ordonnance de prolongation. La chambre de l’instruction motivait sa décision en avançant que la prolongation de plein droit de la détention provisoire excluait toute intervention du JLD, qui, par l’effet de l’entrée en vigueur de l’article 16 de l’ordonnance, avait perdu sa compétence pour décider de cette prolongation. Il n’aurait donc pas dû, selon elle, procéder à l’examen du dossier et au débat contradictoire, puisque l’ordonnance de 25 mars prévoyait une prolongation automatique de la détention provisoire. Néanmoins, cela n’avait pas permis la remise en liberté de l’intéressé, puisque cette juridiction constatait par la même décision la prolongation de plein droit de la détention en application de l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020.

Au soutien de son pourvoi, le requérant invoquait une méconnaissance des exigences européennes relatives à la détention arbitraire et au droit au procès équitable, ainsi que la violation des articles 137 et suivants du code de procédure pénale relatifs à la détention provisoire. Il s’appuyait notamment sur les exigences émises par la Cour de cassation dans les arrêts du 26 mai 2020 (Crim. 26 mai 2020, nos 20-81.910 et 20-81.971, préc.). Or la chambre de l’instruction, saisie d’un appel de l’ordonnance du JLD, s’était contentée de constater la prolongation de plein droit de la détention provisoire sans même prendre le soin d’en vérifier la nécessité. La solution n’est pas étonnante, tant les exemples jurisprudentiels tendent à se multiplier (v. not. Crim. 1er sept. 2020, n° 20-82.938 ; 13 oct. 2020, n° 20-82.322, Dalloz actualité, 9 oct. 2020, obs. F. Engel, préc. ; D. 2020. 1796 ; ibid. 2012 ) et la Cour de cassation a d’ailleurs refusé de transmettre plusieurs QPC sur la validité de l’article 16 en raison précisément de l’interprétation qu’elle en a faite, considérant que celle-ci a permis de garantir un juste équilibre entre les différents intérêts en cause (Crim. 15 sept. 2020, n° 20-82.377, Dalloz actualité, 16 oct. 2020, obs. M. Recotillet ; D. 2020. 1892  ; v. égal. sur cette question nos obs. ss Crim. 13 oct. 2020, préc.). Par ailleurs, la motivation de la chambre de l’instruction ne pouvait emporter la conviction de la Cour de cassation. Réaffirmant ici une solution connue, la Cour rappelle que l’article 16 de l’ordonnance ne saurait être interprété comme empêchant le JLD d’exercer son office (Crim. 1er sept. 2020, n° 20-82.146, Dalloz actualité, 9 oct. 2020, préc. ; D. 2020. 1796 ). La Cour de cassation décide donc de casser la décision de la chambre de l’instruction. Aussi est-il loisible au JLD de procéder à l’examen du dossier et à un débat contradictoire pour décider de la prolongation d’une détention provisoire, peu important que l’ordonnance du 25 mars lui permettait de s’en dispenser et de constater cette prolongation de plein droit.

Les modalités de l’intervention

La Cour de cassation a eu à se prononcer également sur l’articulation des différentes modalités prévues à la fois par l’article 16 et l’article 16-1 de l’ordonnance du 25 mars par un arrêt du 29 septembre 2020 (pourvoi n° 20-83.539). Cette fois, le requérant avait été poursuivi pour les chefs d’association de malfaiteurs terroriste et avait été mis en examen puis placé en détention provisoire le 23 novembre 2018. Une première prolongation avait été décidée le 14 novembre 2019 et le JLD avait de nouveau prolongé de six mois la détention par une ordonnance rendue le 17 avril 2020. Cette dernière prolongation avait été décidée de plein droit en application de l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020. Le 28 mai 2020, le JLD se prononçait une nouvelle fois en faveur d’une prolongation de la mesure à compter du 22 mai 2020, mais cette fois après un débat contradictoire et un examen au fond de la mesure sur le fondement de l’article 16-1 de l’ordonnance. Contrairement à l’article 16, cet article 16-1, introduit par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020, prévoit qu’à compter de cette date les prolongations des détentions provisoires qui expirent postérieurement devront faire l’objet d’une décision de la juridiction compétente après débat contradictoire. Le mis en examen avait relevé appel de cette dernière ordonnance devant la chambre de l’instruction qui avait alors validé la régularité de la détention et confirmé la dernière prolongation. Un pourvoi avait été formé par le détenu qui considérait quant à lui que sa détention provisoire était illégale puisque son titre de détention arrivait à expiration le 22 mai 2020. Aussi, la décision de prolongation ayant été prise le 28 mai 2020, il considère avoir fait l’objet d’une détention arbitraire entre le 23 mai et le 28 mai. La chambre criminelle n’accueillera pas cette branche du moyen, et se contentera d’affirmer la validité du droit français à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. S’appuyant à la fois sur les règles dégagées par sa propre jurisprudence (Crim. 26 mai 2020, préc.) et sur la prolongation implicite de la détention offerte par l’article 16-1, alinéa 2, afin de laisser au JLD le temps de se saisir de la question de la nécessité de la mesure (v. sur ce point S. Fucini, Prolongation de plein droit de la détention provisoire : applicabilité à la seule issue du délai maximum ?, Dalloz actualité, 22 mai 2020), elle confirme ainsi la décision de prolongation par la chambre de l’instruction et la régularité de la détention postérieure au 22 mai. Par ailleurs, le requérant soulevait l’insuffisance de la motivation de la décision de la chambre de l’instruction quant à la nécessité de la prolongation. Sur ce point, la Cour de cassation se contente ici de vérifier que la chambre de l’instruction avait bien réalisé un examen du fait et du droit, ce qui était le cas. Enfin, il avait demandé à la chambre criminelle de transférer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la validité de l’article 16-1 de l’ordonnance. Cette dernière refusait, par une décision rendue le même jour, de transmettre la QPC et le moyen tiré de l’inconstitutionnalité de l’article avait donc été écarté.

Le champ d’application de l’extension des délais de recours

L’article 4 de l’ordonnance du 25 mars prévoit l’allongement des délais offerts aux parties pour exercer une voie de recours. En raison de la situation sanitaire, l’ordonnance permet en effet un doublement des délais de recours, qui ne peuvent être inférieurs à dix jours (v. not. D. Goetz, Coronavirus : la justice pénale en état d’urgence sanitaire, ce que prévoit l’ordonnance, Dalloz actualité, 27 mars 2020). Sont visés par cette disposition « les délais fixés par les dispositions du code de procédure pénale pour l’exercice d’une voie de recours ». Aussi, la question se posait de savoir si les modalités de jugement de l’appel d’une ordonnance de placement en détention provisoire, et notamment la demande d’examen immédiat de l’appel permise par l’article 187-1 du code de procédure pénale, devaient bénéficier de ces règles de recevabilité étendue. Cette procédure particulière prévoit qu’en cas d’appel de l’ordonnance de placement en détention provisoire, l’intéressé peut demander l’examen immédiat de ce recours au président de la chambre de l’instruction, à condition que l’appel ait été formé au plus tard le jour suivant l’ordonnance de placement. Cela permet un traitement en urgence de l’appel, puisque le président de la chambre de l’instruction devra rendre sa décision au plus tard le troisième jour ouvrable suivant la demande.

La Cour de cassation a répondu à cette question dans un arrêt du 30 septembre 2020 (pourvoi n° 20-83.548). Le 9 juin, le mis en examen informait le greffe de la maison d’arrêt de son intention d’interjeter appel de l’ordonnance de placement en détention provisoire, mais ce n’est que le 10 juin que sa lettre était parvenue au greffe, de telle sorte que l’appel fut finalement interjeté à cette date. Il sollicitait à cette occasion l’examen immédiat de son recours devant le président de la chambre de l’instruction. Or ce dernier ne s’était pas prononcé sur l’appel, considérant que la demande d’examen immédiat était irrecevable en raison de sa tardiveté. Il avançait en effet que le détenu ne pouvait solliciter l’examen immédiat que jusqu’au 8 juin. Le calcul ne saurait souffrir de critiques, puisque le 5 juin était un vendredi et qu’à cet effet, la chambre criminelle a déjà pu rappeler récemment que l’article 801 impose que, lorsqu’un délai expire un samedi ou un dimanche, celui-ci sera prorogé un premier jour ouvrable suivant (Crim. 22 juill. 2020, n° 20-82.094, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. A. Roques ; D. 2020. 1575 ). Les termes généraux de l’article 801, visant « tout délai prévu par une disposition de procédure pénale pour l’accomplissement d’un acte ou d’une formalité », sont en effet applicables à la procédure particulière de demande d’examen immédiat de l’appel d’une ordonnance de placement en détention provisoire.

Le requérant se prévalait néanmoins des dispositions plus favorables de l’ordonnance du 25 mars 2020, qui prévoit en son article 4 le doublement des délais pour l’exercice des voies de recours. Il considérait ainsi que le délai avait été doublé par l’ordonnance, ce qui lui laissait jusqu’au 9 juin pour former son appel, jour auquel il avait adressé au greffe sa lettre. Cet argument fut néanmoins écarté par la Cour de cassation. Elle considère en effet que le délai de l’article 187-1 ne peut s’analyser comme un « délai de recours » visé par l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars. Cela se comprend aisément : il s’agit du délai qui encadre la possibilité de demander un examen immédiat de l’appel mais qui ne conditionne aucunement la recevabilité de cette voie de recours.