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Dossier 

Actualité de printemps du droit des entreprises en difficultés

Cet article dresse un panorama des principaux évènements de ce début d’année 2021 en droit des entreprises en difficulté. Outre la présentation des jurisprudences les plus significatives en la matière, il présente brièvement le rapport Richelme sur la justice économique et les enjeux des prochaines ordonnances attendues : transposition de la directive insolvabilité et réforme du droit des sûretés 

par Georges Teboulle 29 mars 2021

La responsabilité pour insuffisance d’actif

En matière de responsabilité pour insuffisance d’actif, un arrêt intéressant est récemment intervenu (Com. 3 févr. 2021, n° 19-20.004, Dalloz actualité, 9 mars 2021, obs. B. Ferrari ; Veille permanente éd. Législatives, 22 févr. 2021, obs. M. Dizel). Depuis la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite « loi Sapin », l’article L. 651-2 du code de commerce, siège de la matière, a été modifié. La responsabilité pour insuffisance d’actif peut être écartée en cas de simple négligence dans la gestion de la personne morale (Com. 31 mai 2011, n° 09-13.975, Bull. civ. IV, n° 87 ; Dalloz actualité, 9 juin 2011, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2011. 521, obs. P. Roussel Galle ). Comment déterminer la notion de négligence exonératoire ?

Dans cette affaire, la demande du mandataire liquidateur visant à condamner le dirigeant d’une société mise en liquidation judiciaire sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce avait été rejetée en appel.

Selon le liquidateur, le dirigeant n’avait pu ignorer l’état de cessation des paiements et son omission ne pouvait donc être une simple négligence. Le dirigeant avait cependant fait des efforts pour apurer la situation financière de l’entreprise. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif qu’une simple négligence ne peut être réduite à l’hypothèse dans laquelle le dirigeant « a pu ignorer les circonstances ou la situation ayant entouré sa commission ». Benjamin Ferrari, dans son commentaire, considère que l’arrêt adopterait une interprétation très permissive de la négligence.

Si l’analyse de la Cour de cassation peut paraître subtile, voire sibylline, il nous semble que la Haute juridiction a simplement voulu nous dire que la connaissance d’un état de cessation des paiements est insuffisante pour caractériser la faute du dirigeant et qu’il faut aller au-delà.

Certes, il n’a été objecté que jusqu’ici, la Cour de cassation n’a pas été aussi clémente en considérant que la responsabilité pour insuffisance d’actif a bien été retenue pour omission de la déclaration de cessation des paiements sans que l’on s’inquiète de savoir si le dirigeant en avait connaissance (Com. 22 févr. 2017 n° 15-17.558 NP ; 4 juill. 2018, n° 14-20.117 NP).

Nous savons aussi que cette omission peut être invoquée pour une interdiction de gérer, selon l’article L. 653-8. En outre, la seule connaissance de l’état de cessation des paiements pouvait paraître suffisante pour justifier une interdiction de gérer (Com. 17 avr. 2019, n° 18-11.743 P, Dalloz actualité, 20 juin 2019, obs. X. Delpech ; D. 2019. 886 ; ibid. 1367, chron. A.-C. Le Bras, T. Gauthier et S. Barbot ; ibid. 1903, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ). À cet égard, il a cependant été jugé que le dirigeant pouvait penser, de bonne foi, que la situation allait s’améliorer et que l’état de cessation des paiements allait donc disparaître (Com. 5 sept. 2018, n° 17-15.031 P, Dalloz actualité, 11 sept. 2018, obs. A. Lienhard ; D. 2018. 1693, obs. A. Lienhard ; ibid. 2019. 1903, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; Rev. sociétés 2019. 543, note B. Dodou ). Dans l’affaire qui a été jugée ici, les dirigeants avaient effectivement été réactifs et avaient pris des mesures pour redresser la situation. Mais la Cour de cassation avait cependant jugé que la simple espérance en une amélioration ne pouvait suffire à exonérer le dirigeant (Com. 27 janv. 2015, n° 13-24.972 NP).

Si l’on peut comprendre que la notion de « simple négligence » apparaît trop floue (F. Pérochon, BJE janv. 2017, p. 1), le retour au droit commun de la responsabilité civile délictuelle pourrait être une bonne idée (F.-X. Lucas, Réforme de l’action en comblement de passif, BJS janv. 2017, p. 1). Faut-il encore penser comme Pierre Michel Le Corre (Droit et pratique des procédures collectives, 11e éd., Dalloz Action, 2021/2022 n° 922.213) qu’il faudrait ne retenir que des fautes de gestion d’une certaine gravité ? Jusqu’ici, la Cour de cassation était assez sévère en retenant une responsabilité pour insuffisance d’actif même dans l’hypothèse d’un retard relativement modéré à déclarer un état de cessation des paiements (Com. 5 févr. 2020, n° 18-15.575 NP, Gaz. Pal. 21 avr. 2020, p. 90, note T. Montéran. Selon Monsieur Ferrari, cet arrêt ne constituerait pas un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation n’opérant qu’un contrôle de qualification en la matière. Cet auteur semble d’ailleurs déplorer cette appréciation plutôt favorable.

Il nous semble au contraire que cette décision de la Cour de cassation, même si elle est difficile à interpréter, constitue une avancée. En effet, le véritable critère ne devrait-il pas être celui d’une réactivité du dirigeant, en temps utile, en prenant des mesures qui étaient susceptibles d’avoir un réel impact positif ? Certes, nous nous éloignons ici des critères habituels d’appréciation de la Cour de cassation, mais cet arrêt pourrait être perçu comme un encouragement à affiner l’analyse, ce qui nous paraît bienvenu.

Il nous paraît en effet qu’il faudrait cesser de considérer qu’un contrôle a posteriori permet de comprendre d’une manière « extra-lucide » ce qu’il fallait faire à tel ou tel instant du passé. Il faut comprendre que les dirigeants courent des risques, les font courir à des partenaires et que cela s’appelle la vie des affaires. Cet aléa devrait être admis et mieux compris.

Devant une situation difficile, le dirigeant dispose de plusieurs possibilités et il devrait être davantage...

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