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DemanderJustice.com : condamnation au paiement de 500 000 € d’astreinte

Le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris a condamné la société exploitant le site DemanderJustice.com à payer une somme de 500 000 € à titre d’astreinte pour ne pas avoir mis un terme à la confusion avec un site officiel et informé l’utilisateur sur le taux de réussite.

par Gaëlle Deharole 7 février 2020

La décision du juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris vient-elle mettre un point final à la saga DemanderJustice.com ? Exploitant trois sites internet (DemanderJustice.com, litige.com et SaisirPrudhommes.com) par lesquels elle met à disposition de ses clients des formulaires types de mise en demeure et permettant de saisir les juridictions sans l’aide d’un avocat lorsque la représentation n’est pas obligatoire, la société fait depuis plusieurs années l’objet de griefs de la part du Conseil national des barreaux (CNB) et des institutions ordinales.

Par deux décisions prononcées en 2012 et 2013 (Jur. prox. Antibes, 7 mars 2013, n° 91-12.000176 ; Jur. prox. Nogent-sur-Marne, 12 nov. 2012, n° 91-126000092, Dalloz actualité, 3 mai 2013, art. A. Portmann), le juge de proximité s’était interrogé sur la validité d’une déclaration au greffe déposée via le site internet DemanderJustice.com. À cette occasion déjà, le CNB soulevait la question du périmètre du droit et, plus spécifiquement, des conditions de représentations devant les juridictions : « il s’agit d’un problème de représentation en justice par un tiers dépourvu d’habilitation légale. Devant le tribunal d’instance, certaines personnes sont admises à représenter les justiciables et elles sont limitativement énumérées. En outre, cette activité de représentation ne doit pas être une activité principale exercée contre rémunération. Or le dépôt de déclarations au greffe contre rémunération est précisément l’objet de ce site » (v. Dalloz actualité, 3 mai 2013, art. A. Portmann, préc.).

Le service proposé par la société Demander justice créait ainsi un contentieux spécifique et autonome au cœur même du contentieux principal (Jur. prox. Villeurbanne, 27 nov. 2013, n° 91-13-000345, Dalloz actualité, 13 févr. 2014, obs. L. Dargent ; ibid., 22 sept. 2015, art. A. Portmann) et suscitait une divergence entre les juridictions du fond en la matière (v., pour une décision admettant la validité de la déclaration au greffe par le site DemanderJustice.com, Jur. prox. Villeurbanne, 27 nov. 2013, n° 91-13-000345 ; v., pour des décisions contraires, prononçant la nullité d’une déclaration au greffe déposée par le biais du site internet DemanderJustice.com, Jur. prox., 30 avr. 2013, n° 91-12-198, Dalloz actualité, 18 juin 2013, art. A. Portmann ; Jur. prox. Rodez, 10 avr. 2014, n° 91-12-000118, Dalloz actualité, 10 avr. 2014, art. A. Portmann). La Cour de cassation, quant à elle, tardait à trancher la question (Civ. 2e, 20 mars 2014, n° 13-15.755, Dalloz actualité, 21 mars 2014, art. A. Portmann A. Portman).

Toute la question était de savoir si les prestations proposées par le site DemanderJustice.com s’apparentaient à une consultation et une représentation en justice ou bien s’il ne s’agissait que d’algorithmes générant un formulaire géré en totale autonomie par les clients dans les procédures sans représentation obligatoire (v. Dalloz actualité, 7 févr. 2014, art. A. Portmann et M. Babonneau).

La matière relève de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 dont les dispositions tracent les contours du périmètre du droit. Au cœur de ce dispositif, l’article 4 de la loi du 31 décembre 1971 réserve aux avocats régulièrement inscrits au tableau de l’ordre l’exercice du métier d’assistance ou de représentation des parties devant les juridictions, les organismes juridictionnels ou disciplinaires. De la même façon, seul un professionnel du droit ou relevant d’une profession assimilée justifiant d’un certain niveau de compétence (Civ. 1re, 26 sept. 2019, n° 18-13.838, Dalloz jurisprudence) est autorisé à exercer, à titre habituel et rémunéré, une activité de consultation juridique ou de rédaction d’acte (CNB, Vade mecum de l’exercice du droit ; Civ. 1re, 25 sept. 2019, n° 19-13.413, Dalloz actualité, 17 oct. 2019, obs. G. Deharo ; D. 2019. 1934 ). C’est en s’appuyant sur ce dispositif que le CNB et l’ordre des avocats avaient entrepris de lutter contre les « braconniers du droit » (v. par ex., CNB, Nouveau succès contre les braconniers du droit).

En l’espèce, le CNB et l’ordre des avocats considéraient que les prestations proposées par le site DemanderJustice.com contrevenaient aux dispositions de la loi du 31 décembre 1971 et, partant, ne permettaient pas de garantir aux justiciables une compétence suffisante pour assurer la défense de leurs droits devant les juridictions. Pour cette raison, la société avait été assignée au pénal, sur le fondement de l’exercice illégal de la profession d’avocat, et au civil, pour avoir, irrégulièrement, réalisé des actes d’assistance et de représentation en justice, donné des consultations juridiques, rédigé des actes sous seing privé et entretenu la confusion dans l’esprit des internautes.

Du point de vue pénal, le fondateur du site DemanderJustice.com avait été poursuivi pénalement pour exercice illégal de la profession d’avocat. Considérant que son intervention tendait à créer le lien juridique d’instance et relevait par conséquent d’une représentation, le CNB avait sollicité la condamnation d’un « braconnier du droit ». Rejetant l’argumentation, le tribunal avait cependant relaxé le prévenu en retenant qu’il ne s’agit que « d’un site qui agrège des renseignements tirés de différents autres sites », « parfois du site du ministère de la justice », qui ne fait que proposer « une mise en forme informatique du remplissage par le plaignant du dossier » et « une prestation de services consistant à apposer une signature électronique sur la saisine du tribunal » et un envoi postal (Dalloz actualité, 14 mars 2014, art. M. Babonneau). La décision avait été confirmée en appel (Paris, pôle 5, ch. 12, 21 mars 2016, n° 14/04307, Dalloz actualité, 30 mars 2016, art. A. Portmann ; ibid., 23 févr. 2016, art. J. Mucchielli ; D. 2017. 74, obs. T. Wickers ; Dalloz IP/IT 2016. 311, obs. L. Baby ) et un pourvoi avait été formé par le CNB et l’ordre des avocats de Paris. Selon la chambre criminelle, les sites litigieux caractérisaient des « start-up du droit », des « legaltech » dépourvues des prestations intellectuelles syllogistiques caractéristiques du raisonnement juridique. En conséquence, considérant que « les activités litigieuses ne constituent ni des actes de représentation ni des actes d’assistance », la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi (Crim. 21 mars 2017, n° 16-82.437, Dalloz actualité, 23 mars 2017, art. J. Muchiellli ; D. 2018. 87, obs. T. Wickers ; D. avocats 2017. 148, obs. M. Bénichou ; Légipresse 2017. 175 et les obs. ).

La décision mettait ainsi un terme au volet pénal de l’affaire, mais celle-ci se déployait alors sur son volet civil.

Du point de vue civil, le CNB et l’ordre des avocats de Paris avaient engagé une action tendant à interdire l’exploitation des sites internet litigieux. Plus spécifiquement, il était reproché au site DemanderJustice.com d’exercer illégalement les activités d’assistance et de représentation en justice ainsi que de consultations juridiques, de rédaction d’actes et, plus largement, de prestations à caractère juridique. Il lui était également reproché la confusion née dans l’esprit des internautes des pratiques tirées de l’usage d’un drapeau tricolore, pouvant amener les clients à assimiler la prestation à l’intervention des pouvoirs publics, ainsi que de la présentation d’un taux de réussite, dont les modalités de calcul n’étaient pas rapportées. Le tribunal de grande instance de Paris avait rejeté ces prétentions en première instance (TGI Paris, 11 janv. 2017, n° 15/04207, D. 2018. 87, obs. T. Wickers ; J. prox. Saint-Avold, 14 déc. 2016, n° 91-15-000075 ; Dalloz actualité, 16 janv. 2017, art. A. Portmann).

Par une décision du 6 novembre 2018 (Paris, pôle 2, ch. 1, 6 nov. 2018, n° 17/04957, Dalloz actualité, 13 nov. 2018, art. T. Coustet ; AJ fam. 2018. 640 et les obs. ; Dalloz IP/IT 2019. 122, obs. J.-B. Crabières ), la Cour d’appel de Paris avait cependant reconnu que la société défenderesse « évolue à proximité de la frontière du périmètre du droit réservé aux avocats », mais elle avait rappelé le caractère automatique des solutions proposées par le site, librement utilisées par l’internaute. À l’instar des précédentes décisions, la cour avait rappelé que « l’assistance juridique, que seul un avocat peut apporter à son client, se manifeste essentiellement par ce qu’il est convenu d’appeler une prestation intellectuelle syllogistique consistant à analyser la situation de fait personnelle du justiciable pour y appliquer ensuite la règle de droit correspondante ». Or, en l’espèce, ni les démarches réalisées librement par l’internaute ni la documentation fournie par l’équipe de juristes du site ne réalisaient cette prestation intellectuelle. Au demeurant, c’est l’internaute lui-même qui remplissait le modèle fourni par le site, si bien qu’il ne pouvait être reproché au défendeur de réaliser des actes juridiques en contravention avec les dispositions de la loi de 1971. Les demandeurs avaient été déboutés de leurs demandes fondées sur la violation du périmètre du droit.

Néanmoins, la cour d’appel avait relevé que le site fournissait l’indication d’un taux de réussite qui ne reposait sur aucune méthodologie et utilisait un bandeau tricolore dont la typographie pouvait laisser penser aux internautes qu’ils avaient affaire à un site officiel. Aussi, rejetant la demande de fermeture du site, la cour d’appel avait, afin d’éviter toute confusion, prononcé sous astreinte l’interdiction de continuer à utiliser un ensemble des trois couleurs du drapeau français et l’injonction de faire disparaître de son site l’affichage d’un taux de réussite sans que l’on puisse en connaître les modalités de calcul.

C’est en application de cette décision que le CNB avait sollicité du juge de l’exécution qu’il prononce la condamnation de la société au paiement de l’astreinte prononcée à son encontre.

Après avoir rappelé les termes de la décision de la cour d’appel de Paris, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris souligne que « l’injonction vise donc à supprimer le risque de confusion avec un site officiel et à informer loyalement l’internaute des chances de succès ».

Toute la difficulté résidait en l’espèce dans le fait que les gestionnaires du site avaient donné suite à ces injonctions de telle sorte qu’elles se trouvaient privées d’effet : d’une part, l’interdiction de l’usage des trois couleurs bleu, blanc et rouge avait été suivie d’un remplacement de la couleur blanche par un gris très pâle, assorti d’un usage des contrastes qui ne supprimait pas le risque de confusion souligné par la cour d’appel dans sa décision du 6 novembre 2018. De la même façon, les éléments de calcul des chances de succès avaient été intégrés sur le site de telle sorte que l’internaute pouvait penser qu’aucune information n’était disponible. Aussi, le juge de l’exécution relève que la société Demander justice, « bien qu’ayant entrepris diverses modifications de son site, ne s’est nullement conformée aux obligations de l’arrêt qui visait à supprimer la confusion avec un site officiel et à informer l’utilisateur sur le taux de réussite puisque la modification des couleurs n’est pas visible à l’œil nu et que la fiche d’information n’est que très difficilement consultable ». Pour ces raisons, le juge de l’exécution condamne la société Demander Justice à payer la somme de 500 000 € à titre d’astreinte.