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Le CRFPA n’est pas compétent pour apprécier l’équivalence du diplôme de doctorat en droit délivré par une université française

Selon l’article 12-1, dernier alinéa, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, les docteurs en droit ont accès directement à la formation théorique et pratique sans avoir à subir l’examen d’accès au CRFPA. La compétence d’accorder des équivalences entre le diplôme français de doctorat en droit et un diplôme acquis dans un autre État membre de l’Union européenne ne relève pas des CRFPA, mais des universités de droit.

par Gaëlle Deharole 18 décembre 2019

L’organisation et l’administration de la profession d’avocat font l’objet des articles 11 à 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. La première de ces dispositions fixe les conditions de nationalité, de diplôme et de probité nécessaires pour accéder à la profession d’avocat. Selon la voie classique, l’accès à cette profession réglementée est subordonné à la réussite de l’examen d’accès à un centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA), ainsi qu’à une formation théorique et pratique de dix-huit mois sanctionnée par le certificat d’aptitude à la profession d’avocat (L. n° 71-1130, 31 déc. 1971, art. 12 et décr. n° 91-1197, 27 nov. 1991, art. 42 s.).

Des accès dérogatoires à l’exercice de la profession sont cependant prévus (Civ. 1re, 6 févr. 2019, n° 18-50.003, Dalloz actualité, 21 mars 2019, obs. G. Deharo ; ibid., 20 févr. 2019, obs. G. Deharo ; adde ibid., 15 févr. 2019, obs. G. Deharo) compte tenu des diplômes obtenus (L. n° 71-1130, 31 déc. 1971, art. 12-1, dern. al.), des activités précédemment exercées (décr. n° 11-1197, 27 nov. 1991, art. 97 à 98-1), des qualifications professionnelles des personnes ayant acquis la qualité d’avocat dans un État membre de l’Union européenne ou dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen autre que la France (décr. n° 91-1197, 27 nov. 1991, art. 99 ; CJUE 17 juill. 2014, aff. C-58/13 et C-59/13, Torresi c. Consiglio dell’Ordine degli Avvocati di Macerata, Dalloz actualité, 21 nov. 2016, art. A. Portmann ; ibid., 24 juill. 2014, art. A. Portmann ; AJDA 2014. 2295, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2015. 35, obs. T. Wickers ; RTD eur. 2014. 926, obs. V. Egéa ) ou de la qualité d’avocat acquise dans un État ou une unité territoriale n’appartenant ni à l’Union européenne, ni à l’Espace économique européen, ni à la Confédération suisse (décr. n° 91-1197, 27 nov. 1991, art. 100).

Les conditions de ces accès dérogatoires sont d’interprétation stricte (Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 18-12.253 ; 6 févr. 2019, n° 18-50.003, Dalloz actualité, 8 avr. 2019, obs. G. Deharo ; ibid., 2 avr. 2008, obs. L. Dargent). Dans ce cadre, la jurisprudence veille strictement à ce que le fondement sur lequel la dérogation est demandée atteste d’une connaissance suffisante du droit français (Cons. const., 6 juill. 2016, n° 2016-551 QPC, Dalloz actualité, 7 juill. 2016, art. A. Portmann ; D. 2016. 1506 ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers ; Constitutions 2016. 529, chron. ; Civ. 1re, 14 déc. 2016, n° 14-25.800, Dalloz actualité, 10 mai 201620 déc. 2016, art. A. Portmann ; D. 2016. 1008 ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers ; 14 déc. 2016, n° 15-26.635, D. 2016. 2579 ; ibid. 2018. 87, obs. T. Wickers ; D. avocats 2017. 6, obs. L. Dargent ; 11 mai 2017, n° 16-17.295 ; 8 nov. 2007, n° 05-18.761, Dalloz actualité, 22 nov. 2007, obs. L. Dargent ; D. 2007. 2956 ) nécessaire pour garantir la qualité de la représentation de l’avocat et une bonne administration de la justice. Cette condition de territorialité (Civ. 1re, 15 mai 2018, n° 17-19.265, Dalloz actualité, 5 juin 2018, obs. G. Deharo) est régulièrement contestée devant les tribunaux (Paris, pôle 2, 1re ch., 9 févr. 2017, n° 16/05575 ; Civ. 1re, 20 févr. 2019, n° 17-21.006, Dalloz actualité, 4 févr. 2009, obs. L. Dargent ; 4 mai 2016, n° 14-25.800, préc. ; Versailles, 23 mai 2016, n° 15/07197 ; adde, Dalloz actualité, 13 févr. 2009, obs. L. Dargent), en ce qu’elle favoriserait les ressortissants français et ne serait pas conforme au droit européen en ce qu’elle serait contraire à la liberté de circulation des travailleurs et à celle d’établissement des travailleurs ainsi qu’au principe de non-discrimination (Dalloz actualité, 21 mars 2019, obs. G. Deharo). La jurisprudence considère cependant que de telles restrictions sont justifiées pas la nécessité d’assurer le respect des droits de la défense, garantie par l’article 16 de la Constitution, et ne sont pas disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi (Civ. 1re, 25 sept. 2019, n° 19-13.413 ; Dalloz actualité, 17 oct. 2019, obs. G. Deharo). Dans le même sens, le dernier alinéa de l’article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 impose des garanties quant à la connaissance du droit français par le candidat : « l’avocat ressortissant d’un État ou d’une unité territoriale n’appartenant pas aux Communautés européennes ou à l’Espace économique européen, s’il n’est pas titulaire du certificat d’aptitude à la profession d’avocat, doit subir, pour pouvoir s’inscrire à un barreau français, les épreuves d’un examen de contrôle des connaissances en droit français selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État. Il en est de même d’un ressortissant d’un État membre des Communautés européennes ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen qui aurait acquis la qualité d’avocat dans un État ou une unité territoriale n’appartenant pas à ces Communautés ou à cet Espace économique et qui ne pourrait invoquer le bénéfice des dispositions réglementaires prises pour l’application de la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005 ».

En l’espèce, une ressortissante autrichienne, titulaire d’un doctorat en droit délivré par l’Université de Vienne, avait sollicité son inscription à l’École régionale des avocats du Grand Est (ERAGE). Elle se prévalait dans cette perspective de la dispense conférée par l’article 12-1, dernier alinéa de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Aux termes de cette disposition, en effet, « les docteurs en droit ont accès directement à la formation théorique et pratique prévue à l’article 12, sans avoir à subir l’examen d’accès au centre régional de formation professionnelle des avocats ». Toute la difficulté provenait de ce que ce texte ne restreint pas la dispense au doctorat délivré par les universités françaises, ouvrant ainsi la voie de la dispense aux titulaires d’un doctorat en droit délivré par une université étrangère. La question est classique mais elle ne fait pas l’objet de la décision de la Cour de cassation : c’est la compétence du CRFPA pour attribuer cette équivalence qui était discutée.

La cour d’appel avait estimé qu’« il appartient aux autorités de l’État membre d’accueil de vérifier si, et dans quelle mesure, les connaissances attestées par le diplôme octroyé dans un autre État membre sont équivalentes à celles sanctionnées par le diplôme de l’État membre d’accueil et exigé par lui pour accéder à une profession réglementée ». Les juges du fond précisaient que « l’absence de dispositions communautaires régissant la reconnaissance académique des diplômes ne doit pas empêcher le titulaire d’un diplôme obtenu à l’étranger de faire établir son équivalence avec un diplôme français ». En conséquence, selon la juridiction d’appel, en l’absence d’autre autorité susceptible d’apprécier l’équivalence du diplôme de la requérante, c’est à l’ERAGE qu’il incombait de procéder à cette appréciation, au regard des connaissances attendues pour accéder à la formation qu’il dispense, du titulaire du doctorat en droit.

Cette décision a fait l’objet d’un pourvoi formé par l’ERAGE contre la décision des juges du fond. Le pourvoi s’articulait autour de quatre arguments. Le demandeur à la cassation convoquait notamment l’article 12-1, dernier alinéa, de la loi du 31 décembre 1971 pour affirmer que celui-ci prévoit une dispense qui ne s’applique qu’aux seuls docteurs en droit ayant obtenu leur doctorat dans une université française. L’interprétation stricte de cette disposition dérogatoire ne devrait pas, en effet, bénéficier aux titulaires d’un doctorat en droit délivré par un établissement étranger. Le pourvoi critiquait encore la décision des juges du fond en ce qu’elle conférait au centre de formation à la profession d’avocat une compétence pour apprécier, au regard des connaissances attendues pour accéder à la formation qu’il dispense, du titulaire du doctorat en droit. Le demandeur à la cassation concluait ainsi à une violation des articles 12-1 de la loi du 31 décembre 1971 et 13 de la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005.

La première chambre civile de la Cour de cassation accueille cette argumentation et casse la décision de la cour d’appel.

Statuant sous le visa des articles 12-1, alinéa 3, et 13 de la loi du 31 décembre 1971, la Cour de cassation vient rappeler qu’« aux termes du premier de ces textes, qui est d’interprétation stricte en raison de son caractère dérogatoire, les docteurs en droit ont accès directement à la formation théorique et pratique sans avoir à subir l’examen d’accès au centre régional de formation professionnelle des avocats ». Elle ajoute qu’« il résulte des deux autres textes que ne relève pas des centres régionaux de formation professionnelle des avocats, mais des universités de droit, la compétence d’accorder des équivalences entre le diplôme français de doctorat en droit et un diplôme acquis dans un autre État membre de l’Union européenne ». Elle casse donc la décision des juges du fond qui, pour prononcer l’admission de la candidate à l’ERAGE, après avoir relevé que celle-ci s’est adressée aux universités dépendant du ressort géographique de l’ERAGE ainsi qu’au Conseil national des barreaux qui se sont considérés incompétents pour délivrer l’attestation sollicitée, ont jugé qu’en l’absence d’une autre autorité susceptible d’apprécier l’équivalence du diplôme, c’est à l’ERAGE qu’il incombe de procéder à cette appréciation au regard des connaissances attendues du titulaire d’un doctorat en droit.

Par une décision largement publiée, la première chambre civile casse la décision de la cour d’appel pour violation de la loi. Le centre de formation professionnelle n’est pas compétent pour délivrer une attestation d’équivalence des diplômes délivrés par l’université (L. n° 71-1130, 31 déc. 1971) et la candidate aurait donc dû exercer un recours contre la décision de l’université qui s’était déclarée incompétente.